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Eusebius et Florestan

Nézet-Séguin pulvérise le tragique

1 Octobre 2014 , Rédigé par Eusebius et Florestan

copyright The New York Times

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Après deux concerts décevants de Paavo Järvi à la tête de l'Orchestre de Paris, il aura fallu attendre le vendredi 19 septembre pour que la nouvelle saison musicale parisienne démarre véritablement. C'est Yannick Nézet-Séguin qui en aura donc donné le coup d'envoi, en dirigeant "son" Orchestre Philharmonique de Rotterdam : une affiche régulièrement placardée depuis maintenant plusieurs saisons au Théâtre des Champs-Elysées. La Sixième symphonie de Mahler inscrite au programme de cette fin d'été 2014 nous renvoyait ainsi à nos excellents souvenirs d'une Deuxième symphonie du même compositeur par le même chef et le même orchestre (et dans la même salle!) quatre ans plus tôt (quasiment jour pour jour).

Au fil de ces années, les mêmes qualités se retrouvent : une direction qui va de l'avant, nerveuse, virtuose et profonde à la fois, et par-dessus tout enthousiasmante! Tout ceci se retrouve dès la terrible marche qui ouvre la Sixième symphonie de Mahler, empoignée avec un energico à la prise de risque maximum, dont le prix se paye : le trompettiste se casse la figure dans la descente. Rien de grave! De telles broutilles ne doivent pas nous faire oublier que l'orchestre aura suivi le chef dans toutes ses intentions, sans souci de confort... ni de beauté des timbres. Ce qui nous rappelle que l'hédonisme sonore n'est pas forcément nécessaire pour rendre une interprétation attirante. Cordes râpeuses et vents peu aériens (hormis la flûte de Juliette Hurel!) ne viennent en aucun cas entraver ce qui demeure l'essentiel : un orchestre emporté dans un processus incandescent et étourdissant, qui ne s'arrête jamais (sans luftpause!). Elément intéressant : les cloches de vaches utilisées non pas dans leur caractère descriptif mais dans une dimension purement abstraite. Le climax de la soirée restera l'Andante moderato au cours duquel le chef parvient, tout en poussant l'orchestre à sans cesse se projeter vers l'avant, à étirer le temps.

La force de Nézet-Séguin aura été de nous faire entendre une proposition à part, qui ne peut se rattacher à rien de ce que l'on a pu identifier de l’œuvre dans nos différentes écoutes. Le sous-titre "Tragique" est bel et bien là, mais comme laissé en arrière-plan, aspiré par une énergie explosive façon big-bang. La symphonie ne nous fait plus apercevoir un héros subissant le destin mais bien au contraire luttant contre celui-ci. Comment dès lors interpréter les coups de marteau du gigantesque finale? Chacun se fera son idée, mais nul doute que d'un point de vue de pure forme musicale, pris dans une direction qui part et repart sans interruption, ces coups auront sonné comme une pulvérisation de la forme-sonate, en démontrant du même coup à quel point Alban Berg avait raison de voir dans cette œuvre "la seule Sixième, malgré la Pastorale".

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