Temple du Luxembourg

Samedi 9 février 2013

"ça fait peur aux oiseaux"

Récital amoureux

Dorothée Daffy, mise en scène

Marie Menand, soprano

Benoît Deney, ténor

Zofia Rieger, piano

Pourquoi le genre du récital lyrique devrait-il être ennuyeux? Bien souvent en effet, cela se résume à un (ou une) pianiste le nez dans sa partition et à un chanteur (ou une chanteuse) engoncé dans un costume trop petit et usant et abusant des grimaces. Heureusement, "ça fait peur aux oiseaux" vient mettre un grand coup de coussin plein de plumes multicolores dans cette bien triste routine. Et si la pianiste prenait vie? Et si les chanteurs se servaient de leur corps et de leur visage pour nous émouvoir? Voilà qui est mieux, surtout lorsque ce sont quatre jeunes talents qui nous proposent ce dépoussiérage. Mêlant airs, duos et pièces pour piano, "ça fait peur aux oiseaux" explore avec modernité les différentes étapes du sentiment amoureux. Solennité, poésie, humour, fraîcheur, profondeur, espièglerie et luminosité sont au rendez-vous.

La mise en scène est signée Dorothée Daffy, qui avait touché le public en janvier 2012 avec "On dit que des barques paraissent dans le ciel" au Conservatoire de Paris. Avec "ça fait peur aux oiseaux", c'est ce même style très dépouillé, se concentrant sur la force intérieure des personnages que nous retrouvons. Si la totalité de l'espace du lieu est utilisé avec ingéniosité, c'est davantage l'impressionnant travail sur la direction d'acteur qu'il faut admirer ici. Débarassés de toute exagération ou toute maladresse, ce sont des personnages attachants et complexes, intégrants le temps et l'espace (influence wagnérienne?), qui se révèlent devant nous, ce qui n'est d'ailleurs pas sans rappeler le travail d'un Bob Wilson ou d'un Peter Sellars. La construction dramatique ferait quant à elle penser à Brahms. Que ce soit dans sa musique symphonique ou de chambre, Brahms base souvent la force de son discours sur une suspension de ce dernier, qui n'est alors pas mis entre parenthèse mais transformé en moment d'hypnose qui permet de faire franchir à l'auditeur un pallier émotionnel. Grâce à ce passage hypnothique, sublimement utilisé dans le mouvement lent de son second concerto pour piano, on passe en quelque sorte de la troisième à la quatrième dimension. C'est ce que l'on ressent dans "ça fait peur aux oiseaux" au moment où les deux chanteurs se regardent intensément les yeux dans les yeux pendant les six minutes que dure "Quejas o la maja y el ruisenor" de Granados et enchaînent avec le duo de Faust. Tout ce travail en profondeur sur les émotions n'empêche pas des moments d'humour irrésistibles, que ce soit dans La Belle Hélène d'Offenbach ou dans La Veuve Joyeuse de Léhar, pour le plus grand plaisir d'un public forcément réactif.

Sur scène, nos deux chanteurs-oiseaux nous rappellent (encore) Bob Wilson pour qui "un plus un n'est pas deux, mais deux est un. C'est en fait une même chose". Que ce soit scéniquement ou musicalement, Marie Menand et Benoît Deney sont dans une interraction saisissante. Ce qui frappe surtout chez ces deux jeunes chanteurs, c'est leur capacité à ne jamais chanter un air ou un duo de la même manière. Wagner n'est pas Gounod, Schumann n'est pas Léhar. En renouvelant leur discours musical d'air en air, ils évitent toute monotonie et entretiennent un intérêt permanent chez l'auditeur. Les couleurs mozartiennes de la voix de Marie Menand permettent de rendre irréel l'air d'Elsa (on songe ici à Gundula Janowitz). Dans le fameux air "ça fait peur aux oiseaux", elle est idéale de fraîcheur et d'intensité. Quant à Benoît Deney, que beaucoup ont déjà pu apprécier dans FIRMA de Philippe Platel, après un Siegmund aux couleurs héroïques, il nous propose un Youkali parfaitement rythmé et d'une grande évidence.

Zofia Rieger est plus qu'une simple accompagnatrice. C'est elle qui donne le "la" au spectacle et parvient à faire du piano un fil conducteur musical. Il faut lui être reconnaissant de défendre avec conviction des pièces pour piano de Granados et de Massenet oubliées ou méprisées. Elle est de plus marquante dans ses interventions scéniques.

Comme par exemple dans un duo des chats de Rossini, devenu trio, qui n'a probablement jamais été aussi drôle et dans lequel nos oiseaux amoureux devenus chats espiègles déclenchent l'hilarité du public, concluant ainsi de la meilleure des manières un spectacle très riche émotionnellement.

En mettant son snobisme parisien de côté (ça se tente!), on se dit que cette proposition originale et réussie vaut bien mieux que beaucoup des lamentables grosses productions d'opéras qui envahissent les grandes scènes parisiennes ces derniers temps.