Daniel Harding et le GMJO : l'orchestre 3.0

Fondé en 1986 par Claudio Abbado, le Gustav Mahler Jugendorchester (GMJO) regroupe chaque année pour deux tournées de jeunes instrumentistes venus de toute l’Europe et triés sur le volet. Ces nouveaux musiciens d’orchestre ont ensuite vocation à intégrer les meilleures formations de la planète. L’exceptionnel niveau instrumental individuel associé à une énergie collective exempte de toute routine ou de toute tradition a attiré à la suite d’Abbado les meilleurs chefs. Pierre Boulez allant jusqu’à enregistrer Wagner et Schoenberg avec eux.

Pour cet « Easter Tour 2017 », Daniel Harding succède à Philippe Jordan qui avait pris en main la tournée d’été 2016. Avec les Cinq Pièces op. 16 d’Arnold Schoenberg, Harding est comme un poisson dans l’eau. D’emblée l’oreille est saisie par son art de forger un son d’orchestre bien à lui, le même qu’il a su faire émerger en peu de temps avec l’Orchestre de Paris (sa Cinquième symphonie de Mahler nous l’a nettement révélé) : attaques sans un pli, clarté des timbres, haute définition des plans sonores, pulsation aérée et scintillement du son d’ensemble (tour de force dans l’acoustique si ingrate du Théâtre des Champs-Élysées). L’écriture si complexe de l’opus 16 de Schoenberg, mêlant mélodie de timbres, expressionnisme et chromatisme prononcé, a rarement paru aussi évidente avec cet orchestre 3.0. Harding en cisèle chaque contour et nous fait respirer dans chaque silence sans oublier pour autant les moments de tension extrême, d’autant plus frappants que le geste est précis et que les musiciens adoptent tous un réflexe sans faille.

Pourquoi Christian Gerharer a-t-il choisi de prêter sa voix aux Nuits d’été de Berlioz ? Son art si remarquable de chanteur de lieder butte ici sur chaque mot prononcé, chaque articulation qu’il précipite trop souvent. La première mélodie est affublée d’un style étrangement noir et blanc. D’une ligne douteuse, le « Spectre de la rose » ne décolle pas. Dans « Au cimetière » et « L’île inconnu », Gerharer parvient à trouver des accents enfin à propos, sans sauver notre sentiment d’être resté à quai. C’est d’autant plus regrettable qu’après l’orchestre imposant de Schoenberg, Harding parvient à trouver dans un son toujours aussi limé un climat chambriste et rêveur, même si le tempo paraît souvent manquer de respiration.

La Deuxième symphonie en ut majeur de Schumann retrouve le même niveau exceptionnel que le début du concert. Il faut dire qu’il s’agit là d’une œuvre fétiche pour le chef anglais, qui nous avait déjà convaincus dans cette même salle avec la Staatskapelle de Dresde en 2009, et qu’il proposera à nouveau la saison prochaine avec l’Orchestre de Paris. Ce soir, l’interprétation nous fait oublier que cette œuvre correspond à une période sombre dans la vie du compositeur. Après un début hésitant des trompettes, Harding canalise une énergie qui ne demande qu’à s’élancer dans l’Allegro ma non troppo. Florestan prend peu à peu le dessus sur Eusebius, et une certaine euphorie s’empare de l’orchestre dans un discours qui se projette sans cesse vers l’avant. Le Scherzo est virtuose et incandescent, d’une mise en place stupéfiante à ce tempo, le chef prenant plaisir à solliciter la fougue des musiciens. Sommet de la partition, l’Adagio espressivo se pare d’un climat consolateur. Particulièrement marquants, les premiers violons passent alternativement d’un son blanc et lunaire, à une chaleur lyrique et élégiaque, distribuant les variétés expressives de ce grand moment de poésie nocturne. Dans le Finale, un Schumann optimiste et conquérant s’impose totalement, la réactivité fulgurante des musiciens couronnant une interprétation d’une spontanéité radicale.

Le plaisir qu’ont les membres du GMJO à rester sur scène à la fin du concert nous le confirme : la féminisation (les femmes occupent la quasi-totalité des pupitres de cordes) et l’enthousiasme de se confronter à une œuvre sans a priori ou réflexes font défaut à beaucoup d’orchestres parfois plombés par une tradition confortable et pesante.

Daniel Harding et le GMJO : l'orchestre 3.0