Anne-Sophie Mutter, puissance de l'originalité

A l'heure où les récitals de violonistes ont du mal à remplir les grandes salles de concert, la salle Pleyel est comble pour écouter ce samedi 17 mai Anne-Sophie Mutter, accompagnée par son complice de toujours, le pianiste Lambert Orkis.

C'est seule que la violoniste entre sur scène pour débuter par la Follia de Krzysztof Penderecki, oeuvre de 2011 ici donnée en création française. Au tour du compositeur polonais de proposer ses variations du célèbre thème des folies d'Espagne du XVème siècle, déjà varié par plus d'une centaine de compositeurs. Penderecki se limite à neuf variations, après un énoncé du thème en pizzicato de caractère énigmatique. Nulle folie dans sa suite de variations mais une avancée implacable, parfois massive, basée sur une écriture qui transforme le violon en instrument imposant. Infatigable défenseure de la musique de Penderecki, Anne-Sophie Mutter se jette à corps perdu dans les difficultés techniques de la partition, dont elle ne fait qu'une bouchée en se payant au passage le luxe de mettre en valeur sa fameuse sonorité d'une chaleur et d'une puissance incomparable (non, elle n'est pas sonorisée!). Le Lord Dunn-Raven de 1710 a trouvé dans une partition de 2011 de quoi s'épanouir pleinement. Beaucoup plus que dans la Sonate en mi mineur K. 304 de Mozart, pourtant datée de 1778. Il faut dire que la violoniste, en étouffant artificiellement sa sonorité, ne parvient pas à trouver le ton juste. Contrôlant à l'excès son vibrato, elle morcelle le premier mouvement mais on ne restera pas insensible à l'atmosphère intimiste et rêveur qu'elle finit par installer dans le sublime second mouvement, sans doute grâce à la finesse du piano de Lambert Orkis. Si Anne-Sophie Mutter a défendu avec ténacité les grands compositeurs de son époque, comme Penderecki, Rihm et Lutoslawski, elle s'est aussi intéressée à des compositeurs au talent plus contestable. Il sera ainsi permis de rester dubitatif à l'écoute de la musique de son ex-mari André Previn, dont la Sonate pour violon et piano no. 2 présentée ce soir-là est d'une expression bien fade et d'un style ressuscitant maladroitement le passé - le premier thème prête à sourire.

Il faut retourner deux siècles en arrière pour retrouver une oeuvre moderne en la Sonate "A Kreutzer" de Beethoven datée de 1803, qui composait la seconde partie du récital. Beethovénienne, l'interprétation d'Anne-Sophie Mutter le fut en un sens, par la maîtrise parfaite du pp au ff par le sf. Mais c'est bien sûr la personnalité de la lecture qui s'impose. L'introduction Adagio sostenuto donne le ton de tout ce qui suivra : une recherche permanente de frottements harmoniques, sans pour autant ne jamais se départir d'une beauté sonore enivrante. Lambert Orkis suit les moindres inflexions de la soliste (malgré un jeu plus convenu), et un dialogue enrichissant se développe, pour un grand moment de musique de chambre.

En guise de bis, trois petites douceurs : Humoresque de Dvorak, Danse hongroise no. 1 de Brahms et Caprice viennois de Kreisler, dans lesquelles Anne-Sophie Mutter, à l'archet dandinant, se transforme en diva du jazz. Colorées de la Blue Note, ces petites pièces trouvent une originalité bienvenue.

Magnétisme de la sonorité et originalité de la vision, à 50 ans, Anne-Sophie Mutter continue à interpréter... et donc à ne laisser personne indifférent.

Anne-Sophie Mutter, puissance de l'originalité