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Eusebius et Florestan

PatKop libre avec Prokofiev

21 Décembre 2013 , Rédigé par Eusebius et Florestan Publié dans #saison 2013-2014

copyright Marco Borggreve

copyright Marco Borggreve

Le London Philharmonic Orchestra (LPO), tout comme le Philharmonia Orchestra, fait partie des piliers des saisons du Théâtre des Champs-Elysées. Se rendre à un de leurs concerts c'est désormais se placer dans la perspective de passer une bonne soirée, comme en juin dernier pour l’Opéra de Quat’sous. Depuis que le russe Vladimir Jurowski en est devenu le directeur musical, l’orchestre a acquis une caractérisation sonore (russe?) qui lui a permis de trouver sa place entre ses deux grands rivaux londoniens que sont le London Symphony Orchestra et, justement, le Philharmonia Orchestra. Reste qu’il demeure moins virtuose que ces deux derniers, Jurowski a encore du travail à accomplir dans ce domaine.

En ce vendredi 20 décembre au TCE, proximité des fêtes de Noël oblige, c’est par la très rare suite La Nuit du réveillon de Nikolaï Rimsky-Korsakov que débutait le concert, composé uniquement d’œuvres russes. Peu de remarques à faire sur cette partition, mineure dans la production de Rimsky, mais dont on goûte à chaque instant le génie d’une orchestration qui subrepticement annonce la période "orientalisante" de Szymanowski.

Soyons francs, ce soir-là au TCE c’est la formule de Jascha Heifetz qui s’appliquait : « le public paye pour le soliste ! ». LA soliste en l’occurrence, puisque la curiosité du public était toute concentrée sur la violoniste Patricia Kopatchinskaja.

Remue-méninges

Née en 1977 en Moldavie, elle appartient à cette incroyable génération de femmes violonistes trentenaires, et en est sans doute la plus controversée. Forte personnalité en effet, celle qui s'est faîte appeler PatKop a de quoi déconcerter les tenants d'un jeu violonistique ne débordant pas du cadre d'une forme de tradition interprétative. Profiter de ses interprétations, c'est donc accepter de perdre des repères. Et le Concerto pour violon no. 2 de Prokofiev, qu'elle avait choisi ce soir-là au TCE, n'en manque précisément pas. Dès le début, ce thème joué à nu par le violon nous est si familier dans une lecture pleine de souffle et de romantisme. Il sera décharné et désarticulé sous l'archet de Patricia Kopatchinskaja, pour se transformer en vision fantomatique lorsqu'un orchestre inquiétant lui répond. La grande force de cette lecture du concerto de Prokofiev s'appuie ainsi sur le dialogue parfait entre soliste et direction, maintenant de bout en bout une émulation qui se concrétisera par un final crépitant et diabolique marqué par une recherche poussée de timbres surprenants. S'appuyant sur un jeu s'inspirant du violon tzigane, l'interprétation de la soliste se caractérise par une volonté insistante, mais peut-être trop systématique (qu'importe!), de faire ressortir des frottements harmoniques. Ce fort parti pris a de quoi remuer les méninges. On est autant bousculé que la partition de Prokofiev, pour notre plus grand bonheur. Le violon joué par Patricia Kopatchinskaja n'est pas pour rien dans le magnétisme que dégageait son interprétation : un surprenant Pressenda de 1834, d'une chaleur incomparable, à la projection facile et à l'infinie palette de couleurs. En guise de rappels, elle mettra en avant de manière théâtrale le premier violon puis le clarinettiste du London Philharmonic pour deux duos de Bélà Bartok, irrésistibles! Mais qu'y a-t-il donc de si irritant chez Patricia Kopatchinskaja?

Direction anguleuse

En seconde partie, Vladimir Jurowski proposait des Danses symphoniques de Rachmaninov sans concession. La sécheresse dont il est souvent accusé se retrouve ici dans sa façon de traiter les cordes, ce qui a tendance à gommer le côté rhapsodique du long thème central du volet initial et à enlever toute trace de "ravélisme" dans l'orchestration de la si fascinante valse centrale. Reste que la direction de Jurowski prend tout son sens dans une danse finale tellement sombre qu'elle en devient macabre, imprégnée d'un Dies irae d'une violence rarement entendue dans cette oeuvre. Sécheresse, vraiment? C'est davantage une direction anguleuse et abrupt, sans pathos aucun, mais avec il est vrai de légères baisses de tension (vite oubliées!), qui est à souligner et qui a rendu cette lecture au dramatisme ascétique si particulière.

Un concert transformé en expérience et qui prouve, s'il en était besoin, à quel point la jeune génération a des choses à dire!

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