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Eusebius et Florestan

Et Chicago vint à la Philharmonie

17 Janvier 2017 , Rédigé par Eusebius et Florestan Publié dans #Saison 2016-2017

copyright Todd Rosenberg

copyright Todd Rosenberg

Les débuts du Chicago Symphony Orchestra à la Philharmonie de Paris ce vendredi 13 janvier 2017 constituait assurément un événement. Leur onéreux directeur musical Riccardo Muti (2,2 millions de dollars par an) avait concocté un programme idéal pour appréhender cette première rencontre entre la salle et l’orchestre.

Dès le début rugueux et austère de la Musique de concert pour cordes et cuivres op. 50 de Paul Hindemith (si éloigné des chromatismes de Sancta Susanna) la profondeur et le niveau sonore  impressionnent tant que l’on en oublierait presque que moins de cent musiciens sont sur scène. Muti aurait-il choisi cette œuvre pour nous rappeler d’emblée que les cuivres de Chicago n’ont aucune concurrence sérieuse ? Les cordes ne sont cependant pas en reste et ne faiblissent jamais dans la lutte imposée par l’écriture, puis se laissent admirer dans des moments lyriques d’un souffle et d’un relief saisissants.

Rendons grâce à Riccardo Muti d’avoir aiguisé notre curiosité dans cette première partie de concert : rareté toujours avec  In the south d’Edward Elgar, davantage poème symphonique qu’ouverture, dont l’orchestration lorgne vers Richard Strauss. Le vibrato des violons éclaire le thème introductif d’une lumière cinématographique, qui reste heureusement plus wagnérienne qu’hollywoodienne, comme un lever de rideau avant de s’élancer dans un parcours totalement optimiste, même si l’orchestre d’Elgar n’est pas exempt d’effets bruyants - le solo d’alto apparaissant dès lors comme un moment de paix bienvenu. Est-ce l’habitude de nos oreilles européennes ? L’orchestre semble en tout cas ce soir beaucoup plus puissant que la Staatskapelle de Berlin entendu une semaine auparavant dans la même salle et qui ne manquait pourtant ni d’énergie ni d’épaisseur.

Avec Une Nuit sur le Mont Chauve, les Chicagoans déclenchent sans peine un tellurisme sonore qui scotche l’auditeur à son fauteuil. Si les cordes possèdent un tranchant  et une profondeur qui en imposent, il ne fait aucun doute que ce sont bien les cuivres qui constituent les fondations indestructibles de l’ensemble. Sentiment mitigé cependant sur les choix de Muti : cette direction marmoréenne n’aurait-elle pas tendance à statufier une œuvre qui aurait mérité plus de folie (écoutez le même orchestre avec Fritz Reiner en 1960!) ? Mais la coda est pur moment de suspension - le solo de clarinette touche aux extrêmes limites impalpables du son.

Les Tableaux d’une exposition ont toujours réussi au chef italien, et ce soir ne fera pas exception. Dès l’énoncé de la Promenade initiale, nous respirons. Muti insuffle enfin une souplesse et une aération – une sensualité également dans les cordes - trop absentes dans les œuvres précédentes. Tout au long du cheminement, il peut s’appuyer sur des solistes d’une solidité technique et d’une sensibilité interprétative rares : la trompette bouchée dans Samuel Goldenberg und Schmuÿle, le saxophone dans Il vecchio castello, le tuba dans Bydlo (avec une mention spéciale pour la caisse claire!). Bydlo justement, dont la progression implacable, dans un crescendo organique, n’est que grand frisson. Le tempo confortable n’empêche nullement le rebond et le rayonnement du Ballet des poussins dans leurs coques. Les impacts de la Cabane sur des pattes de poule sollicitent physiquement le spectateur. La Grande porte de Kiev (avec sa cloche jamais bruyante), parfaitement maîtrisée dans sa progression, vient porter au paroxysme ce considérable moment symphonique. Soulignons que l’acoustique de la Philharmonie (véritable organisme vivant) a participé pleinement à la mise en valeur des timbres. Nul doute que dans l’ancienne salle Pleyel (ou dans l’actuel Théâtre des Champs-Élysées) un tel concert n’aurait pu connaître le même aboutissement.

En bis, Muti dirige main sur le cœur les cantilènes de l’ouverture des Vêpres Siciliennes, moins urgente qu’avec Chailly et ses milanais trois mois plus tôt mais plus sculptée. Elle restera absorbée par l’onde de choc des Tableaux d’une exposition provoquée par un orchestre qui aura confirmé – et comment ! - qu’il fait bien partie des plus impressionnants.

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